La Franc-maçonnerie de Saint-Domingue à Haïti, Oser faire le bien, Interview avec Haïti Inter à Paris le 4 septembre 2025

Pendant longtemps, la franc-maçonnerie haïtienne est restée un sujet verrouillé. Dans l’imaginaire collectif, elle oscille entre société secrète, cercle d’élite et lieu de pouvoir occulte. Dans une interview accordée à Haïti Inter, Gregory Sicard, franc-maçon assumé, chercheur passionné et auteur du livre La franc-maçonnerie, de Saint-Domingue à Haïti, offre un regard historique, personnel et critique sur une institution aussi influente que méconnue.

Dès les premières minutes de l’entretien, le ton est donné : la franc-maçonnerie fait peur autant qu’elle fascine. Crainte pour son apparente opacité, respect pour sa rigueur intellectuelle et son héritage humaniste. « Lorsqu’on parle des francs-maçons, c’est toujours avec un mélange de crainte et de respect ». En Haïti, ce mélange est renforcé par l’imbrication des mythes religieux, des traditions locales et des traumatismes historiques.

Gregory Sicard retrace dans son ouvrage une histoire riche, qui remonte à l’époque de Saint-Domingue. Dès le XVIIIe siècle, des loges sont fondées par les colons français, souvent avec le soutien du Grand Orient de France. À l’époque, seuls les grands planteurs et négociants y sont admis. Ce n’est qu’à la veille de la Révolution que des hommes de couleur commencent à y entrer, notamment via la loge La Réunion Désirée à Port-au-Prince.

Mais la contradiction est flagrante : comment prêcher l’égalité dans des cercles qui excluent les Noirs et qui défendent parfois, en parallèle, l’esclavage ? « Il faut vivre avec son temps », répond Sicard, sans éluder le paradoxe. Pour lui, la maçonnerie portait déjà les germes de l’émancipation, même si elle a mis du temps à les incarner.

Selon Sicard, les francs-maçons ont joué un rôle clé dans les mouvements d’indépendance. Beaucoup de figures majeures de la Révolution française (Danton, Robespierre, Mirabeau, Voltaire) étaient eux-mêmes initiés. En Haïti, certains officiers de couleur, militaires ou commerçants, ont rejoint les loges et porté les idées des Lumières jusqu’au cœur des combats.

L’auteur insiste aussi sur les zones d’ombre de l’histoire officielle. Il cite des noms oubliés, des cadres de l’administration ou de l’armée qui ont participé à la naissance d’Haïti, et qui étaient, eux aussi, francs-maçons. « Ce n’est pas seulement une affaire de chefs, c’est aussi l’histoire de ceux qui ont construit en silence », affirme-t-il.

La relation entre pouvoir politique et franc-maçonnerie n’a jamais été simple. Dessalines, méfiant, a fait détruire les loges, qu’il soupçonnait de complot. Pétion, au contraire, les a protégées. Son attitude ambivalente laisse penser qu’il était peut-être initié, même si aucune preuve formelle ne l’atteste. Sous Boyer, la franc-maçonnerie entre dans son âge d’or : il fonde le Grand Orient d’Haïti en 1824 et devient le premier chef d’État maçon avéré.

Aujourd’hui encore, la franc-maçonnerie haïtienne reste vivante. Plus de 180 loges sont recensées dans le pays, rassemblant environ 20 000 membres. On y trouve des intellectuels, des commerçants, des politiciens, mais aussi des personnes modestes. « La loge est une tranche de la société », souligne Sicard. Ni plus vertueuse, ni plus perverse : un espace où se confrontent les ambitions, les rivalités, mais aussi les idéaux.

Sicard s’inscrit en faux contre les idées reçues et les fantasmes qui entourent la franc-maçonnerie en Haïti : dans les loges, il n’est pas question de magie noire, de guérison surnaturelle ni de complot. Et surtout, une règle est claire : toute personne qui trahit les principes est exclue. « Un criminel ne peut pas être initié ».

Face à la crise actuelle en Haïti, Sicard lance un appel. Il ne prétend pas que la franc-maçonnerie est la solution miracle, mais il affirme qu’elle peut contribuer à un changement de cap. En mettant l’accent sur trois mots simples et qui est aussi la devise haïtienne : liberté, égalité, fraternité. Ces valeurs, selon lui, sont encore capables d’inspirer un projet politique, social et éthique pour Haïti.

À lire : La franc-maçonnerie, de Saint-Domingue à Haïti – Oser faire le bien, par Gregory Sicard.


Manifeste L'Appel du Lambi, Interview Fokus Marketing Radio Ibo, le 22 Juin 2024


Manifeste L'Appel du Lambi, Interview Le Point Radio Télé Métropole, le 28 Juin 2024


Manifeste L'Appel du Lambi, Interview Panel Magik Radio Magik 9, le 19 juillet 2024